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- Publication : 2 septembre 2022
Moins vite, moins loin. Avant même la crise sanitaire, huit Français sur dix disaient aspirer à ralentir au quotidien et à vivre en plus grande proximité, sans multiplier les déplacements. Un enjeu de confort de vie, mais aussi une opportunité pour réussir la transition écologique et sociale. À l’heure de la parution d’un nouveau rapport alarmant du GIEC*, le Forum Vies Mobiles a mis dix-huit propositions sur la table au printemps dernier. Objectif : peser dans les réflexions des élus et des décideurs.
Soutenu par la SNCF, le Forum Vies Mobiles se consacre depuis dix ans à des travaux dédiés à nos modes de vie, à nos déplacements et à leur impact sur la famille, la santé, le territoire et l’environnement. En 2021, l’association a souhaité se lancer dans une démarche participative pour prolonger et compléter le regard des spécialistes. "En tant que think tank, nous menons différents projets de recherche et certains donnent lieu à des recommandations d’experts, mais avons souhaité travailler sur d’autres propositions en nous appuyant cette fois sur ce que veulent les gens. L’idée maîtresse, c’est que les citoyens sont des experts de leur propre mode de vie" explique Tom Dubois, responsable de la valorisation des recherches, de la communication et des relations publiques de l’association.
Un panel représentatif de la population
Concrètement, l’ambition se traduit par l’organisation d’un forum citoyen annuel : "pour la première édition, nous avons organisé quatre réunions sur des territoires distincts – dont la Réunion - réunissant chacune trente personnes pendant trois jours, autour de l’angle mobilité et travail ". Soit 120 citoyens en tout, sélectionnés pour composer un échantillon représentatif de la population : sexe, niveau de revenus, niveau d’étude, lieu de vie, modes de transports utilisés, types d’emplois et de mobilité, etc. "Un tel panel permet de s’intéresser à des expériences et des situations variées en réunissant des personnes aux profils très différents, de ceux qui se déplacent très peu aux grands mobiles ". Débats, rencontres, formations, confrontations d’experts autour d’une controverse… l’objectif de ces trois jours est de débattre pour produire des recommandations citoyennes qui viennent s’ajouter à celles sur lesquelles l’association travaille déjà par ailleurs. "Nous avons tiré de l’ensemble un corpus de dix-huit propositions, une sorte de programme de référence capable de décarboner la mobilité future, en partant de solutions désirées."
Peser dans le débat public
À partir de la fin 2021 et tandis que la campagne présidentielle se lance, les équipes du Forum Vies Mobiles entament alors un vaste tour d’horizon auprès des candidats et de leurs équipes. "Le but était à la fois de les sensibiliser aux aspirations mises sur la table par les citoyens eux-mêmes et de leur présenter les propositions pour que chaque candidat puisse s’en saisir et y réfléchir à l’occasion d’une élection nationale de premier plan", explique Tom Dubois. Avec succès ? "Nous sommes une petite structure qui ne peut pas à elle seule imposer un thème dans le débat public mais nous avons constaté que le travail mené auprès des élus paye. Nous avons pu rencontrer l’intégralité des équipes de campagne et nos propositions ont toujours un écho, même s’il varie en fonction des sensibilités politiques".
Il reste que l’année 2022, électoralement dense, a globalement peu évoqué la question de la mobilité, regrette Tom Dubois : "le thème ne s’est pas imposé en tant que tel. En revanche, certains sujets particulièrement sensibles au cours de la campagne y sont indirectement liés, par exemple au travers de la question du pouvoir d’achat. Non seulement la mobilité coûte cher, mais nous sommes très inégaux face à ces enjeux, que ce soit en termes de moyens, d’accès, de ressenti, d’émissions de CO2…". Les enjeux énergétiques ont aussi été au cœur des débats, sur fond de hausse des prix l’énergie et de guerre en Ukraine. "Nous nous étions déjà emparés de ces sujets essentiels au moment de la crise des Gilets jaunes, directement liée à l’idée d’une taxe carbone qui aurait conduit à une hausse du coût des carburants. Nous avons donc pu porter à nouveau notre message, assez critique d’ailleurs vis-à-vis d’une taxe qui nous paraît à la fois inéquitable et inefficace dans son principe même : elle frappe chacun de la même manière quel que soit son niveau de revenu et ne contribue pas vraiment à modifier le comportement des plus aisés, qui sont les plus émetteurs de CO2".
Propositions variées
Mobilité et territoire, mobilité, travail et entreprise, mobilité et jeunesse… la liste complète des dix-huit propositions retenues par le Forum Vie Mobiles (téléchargeable ici) englobe des enjeux complémentaires, mais de nature et de portée différentes. Prises ensemble, toutes les propositions concourent à même objectif : "proposer un futur désiré, pour que la transition ne soit pas vécue comme une contrainte par les citoyens, et écologique, pour répondre aux impératifs de la crise environnementale et climatique". Certaines relèvent de la contrainte : suppression des vols intérieurs quand une alternative bas carbone de moins de quatre heure existe, obligation de mise en place du Forfait Mobilités durables dans les entreprises, renouvellement obligatoire des flottes d’entreprise au profit des petites cylindrées et des mobilités douces… D’autres en revanche parient sur l’incitation et la transformation progressive des comportements : autoriser l’échange autonome de postes entre salariés ou agents publics qui exercent la même fonction pour réduire leurs trajets, créer pour les jeunes un "pack mobilité jeunes" qui inclurait un abonnement transports, un forfait internet, l’apprentissage des modes actifs et le passage du permis de conduire à l’école, la mise en place d’un compte carbone mobilité pour les individus et les entreprises pour permettre à chacun de connaître l’impact carbone de son activité…
Des mesures pour tous les publics
Certaines mesures concernent ainsi l’ensemble des Français, d’autres ciblent des publics spécifiques. Le cas du télétravail en est un bon exemple. La crise sanitaire a démontré que certains actifs pouvaient s’émanciper d’une partie de leurs contraintes de mobilité, développant au passage un rapport nouveau à leur travail, à leur entreprise et même à leur vie quotidienne dans leurs quartiers, rappelle le think tank. "Nous sommes convaincus qu’il faut encourager le recours au travail à distance pour éviter des déplacements inutiles et désengorger les routes et les transports en commun, mais cela ne signifie pas que le télétravail doit devenir une contrainte. En revanche, permettre à ceux qui le souhaitent de le pratiquer plus régulièrement n’enlève rien à ceux qui privilégient plutôt le présentiel." Comment ? En déployant une politique nationale d’organisation du télétravail afin de permettre aux habitants des grandes métropoles qui le souhaitent de déménager pour se rapprocher d’un cadre de vie plus désiré, suggère le Forum Vies Mobiles.
Réorganiser le territoire national
Cet enjeu de territoire est au demeurant au cœur de la démarche du Forum. "La condition sine qua non d’une transformation de nos mobilités passe par un réaménagement en profondeur de nos territoires. Donner la priorité à la rapidité et donc à des moyens de transports rapides comme le train et l’avion mais surtout la voiture, a conduit à un bouleversement de l’organisation des territoires. Aujourd’hui, il y a très peu de régions en France où on peut vivre sans voiture en dehors des grandes métropoles, et encore."
Ce premier point est structurant, insiste Tom Dubois. "Pour faire évoluer la mobilité, il faut favoriser l’apparition de nouveaux bassins de vie grâce à la relocalisation des emplois, des services et des équipements du quotidien autour des habitations plutôt que de les concentrer au cœur des grandes métropoles. Outre le développement de nouveaux liens économiques et sociaux, accéder à des services de proximité dans un rayon de moins de quinze kilomètres favoriserait des mobilités plus vertes, dont une réduction des dépenses liées aux déplacements (carburant, entretien des véhicules, etc.), au bénéfice de la santé et du pouvoir d’achat des Français ". D’où l’une des propositions portées par le think tank : conditionner l’implantation des entreprises, des commerces et des grands équipements à l’existence de moyens d’accès alternatifs à la voiture individuelle : transports collectifs, covoiturage, vélo, marche… Car le temps presse : "organiser le territoire prend énormément de temps : nous vivons aujourd’hui dans un système construit sur des décennies et nous ne verrons que dans des années l’impact de la réorganisation à laquelle nous appelons."
Mais par où commencer ?
Par certaines mesures simples, comme l’interdiction des publicités pour les voitures les plus polluantes - les SUV en l’occurrence - ou par un travail de fond sur le réseau cyclable. "Aujourd’hui, 75 % des déplacements de moins de cinq kilomètres sont faits en voiture là où ils pourraient se faire dans la plupart des cas à pied ou à vélo. Le premier frein à lever dans ce dernier cas, c’est l’insécurité. Donner envie aux gens de changer leur comportement passe par la construction d’un réseau sûr et agréable, ce qui n’est pas si onéreux". D’autant que les Français ne demandent que ça, relève le Forum en rappelant que 91 % d’entre eux souhaiteraient pouvoir réduire l’impact écologique de leurs déplacements quotidiens et que 51 % se donnent moins de cinq ans pour y parvenir, en utilisant des moyens de déplacement moins polluants. En avant !
* Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat.