Avec 2,7 millions de vélos vendus en 2020, la tendance est incontestable : depuis la pandémie, le nombre de cyclistes a fortement progressé en France. Mieux : une étude menée dans une centaine de villes européennes et publiée dans la Revue américaine des sciences a montré que la mise en place de « coronapistes » a dopé la pratique du vélo dans une centaine de villes européennes, avec des progressions allant de 11 à 48 %. Mais ces pistes éphémères se sont-elles installées plus durablement ? La pratique résiste-t-elle à l’épreuve du temps ? Quels sont les usages de ces nouveaux cyclistes ? Le point en compagnie de Mathieu Chassignet, ingénieur mobilité et qualité de l’air à la Direction régionale de l’ADEME Hauts-de-France.

 

La pratique du vélo a incontestablement progressé au cours de la pandémie. S’agit-il d’un mouvement de fond ou d’une tendance éphémère ? 

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La tendance est à la fois réelle et durable, ne serait-ce que parce que l’engouement pour le vélo n’a pas commencé avec la pandémie : d’autres facteurs conjoncturels ont joué ces dernières années. Les grèves de décembre 2019 avaient ainsi eu un effet particulièrement sensible dans les grandes villes, où la pratique du vélo a été multipliée par deux, alors que nous étions en plein hiver. De manière plus structurelle, cela fait une dizaine d’années que la pratique du vélo augmente d’environ 10 % par an dans les grandes villes françaises. Pour autant, la Covid a permis d’accélérer cette tendance dans des proportions jamais vues jusque-là, avec une fréquentation cyclable qui a en moyenne progressé de 30 % en France en 2020, en moins d’un an. 

Ce qui est également intéressant, c’est que la pratique s’est développée partout. La crise sanitaire a par exemple enrayé la stagnation ou le recul que l’on constatait en périphérie des centres-villes et en banlieue, où la pratique du vélo se heurte encore à une voiture qui reste omniprésente. On constate également une hausse du nombre de cyclistes dans le milieu périurbain comme en milieu rural (voir "pour aller plus loin"). C’est peut-être l’amorce d’une bascule dans la mesure où la hausse constatée depuis dix ans se concentrait pour l’essentiel dans les grandes villes.

 

Loisir, trajets domicile-travail… La pratique du vélo recouvre  des pratiques très différentes. Où la progression est-elle la plus sensible ? 

Le « vélotaf » a largement profité de la tendance des derniers mois. Ces trajets correspondent aux heures de pointe dans des transports collectifs à un moment où beaucoup d’usagers cherchaient à fuir cette promiscuité, ne serait-ce que pour des raisons sanitaires. En revanche, on détecte là un nouveau clivage. A celui qui sépare les centres-villes et les périphéries s’ajoute une distinction entre catégories socio-professionnelles : aujourd’hui, ceux qui décident de passer au vélo sont souvent des cadres et des CSP+. Alors qu’il y a vingt ans, le vélo était plutôt un mode de déplacement pratiqué par des gens au revenu modestes, la tendance est en train de s’inverser. 

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Qu’en est-il du vélo loisir ? 

La progression est également marquée, probablement en raison des efforts consentis par les collectivités territoriales. Le réseau touristique progresse petit à petit dans le cadre du schéma directeur des véloroutes et voies vertes (voir "pour aller plus loin") et beaucoup de responsables et de décideurs commencent à saisir les enjeux économiques du cyclotourisme, capable d’attirer une clientèle étrangère vers leurs territoires. Belges, Néerlandais, Allemands… Ces touristes ont souvent tendance à dépenser davantage que leurs homologues français, ce qui laisse espérer des retombées économiques et financières non négligeables pour certains territoires, notamment ruraux. 

 

Certains publics échappent-ils à cet engouement pour la petite reine? 

Un point d’attention concerne les publics scolaires, qui se rendent peu à vélo jusqu’à leur collège ou leur lycée, en tout cas moins qu’auparavant : aujourd’hui, un écolier sur deux est déposé en voiture devant l’école par ses parents, alors que leur domicile est le plus souvent assez proche et que cette proportion n’était que de 25 % voici vingt ans

Il serait souhaitable d’enrayer ce recul pour deux raisons au moins. A l’entretien de la dynamique des déplacements doux auprès des plus jeunes s’ajoute un enjeu de santé publique. Développer la pratique chez les plus jeunes, c’est leur permettre d’atteindre les niveaux d’activité physique recommandés notamment par l’OMS et lutter contre la tendance au surpoids ou à l’obésité.

 

Les « coronapistes » aménagées au plus fort de la pandémie se sont-elles pérennisées ?

De plus en plus de collectivités ont compris que l’enjeu ne consiste pas aujourd’hui à satisfaire les cyclistes confirmés mais bien à répondre aux besoins des nouveaux pratiquants. Augmenter la part du vélo passe par le déploiement d’un réseau pérenne que ceux-ci peuvent emprunter en se sentant en sécurité. Toute la question est de savoir si le rythme adopté est le bon et les coronapistes sont à cet égard le témoin d’une prise de conscience : des communes ont réalisé en quelques semaines ce qui n’avait pas été fait depuis des années et la plupart annoncent leur volonté de les installer dans la durée. Paris a annoncé l’aménagement « en dur » de 60 km de pistes cyclables et la MEL compte faire de même avec les 34 km de pistes temporaires tracées en 2020.  Encore faut-il se doter des budgets nécessaires. 

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Quel effort financier cela représente-t-il ? 

Aujourd’hui, les différents échelons territoriaux concernés ne consacrent encore en moyenne que 10 euros par habitant et par an au vélo. L’ADEME recommande de tripler ces budgets, sachant que les dépenses équivalentes dédiées à la route se situent autour de 300 euros. Certaines communautés d’agglomérations ont déjà atteint ce seuil, notamment à Bordeaux et à Strasbourg. La MEL a débloqué un budget de 100 millions d’euros sur la mandature mais rapporté à la population concernée, celui ne représente que 15 euros par an et par habitant.

 

Les pistes cyclables peuvent prendre des formes très différentes. Au-delà des seules distances, faut-il faire un saut qualitatif ? 

L’objectif officiel des pouvoirs publics consiste à multiplier par trois la pratique du vélo d’ici 2024 et par quatre d’ici 2030. Accueillir quatre fois plus de cyclistes dans neuf ans suppose de convaincre ceux qui hésitent à franchir le pas, souvent parce qu’ils ne se sentent pas en sécurité sur les infrastructures actuelles. Proposer mieux, c’est aménager davantage de trajets séparatifs comme aux Pays-Bas ou au Danemark. Même si on ne peut évidemment pas isoler 100 % des pistes cyclables du reste de la chaussée, le but est de réduire au maximum les distances que le cycliste partage avec les autres usagers avant de rejoindre les axes qui lui sont réservés. C’est ce qui permettra par exemple d’amener des parents à laisser leurs enfants rejoindre leur collège ou leur lycée à vélo en toute tranquillité. Au-delà des pays nordiques toujours cités en exemple, d’autres pays rattrapent leur retard comme en Italie ou dans certaines villes des Etats-Unis : à Portland, une personne sur dix se rend à au travail à vélo grâce aux 500 km de pistes aménagées. En Espagne, Séville est un cas d’école :  en dépit de températures souvent élevées, la pratique du vélo a été multipliée par dix grâce à la suppression d’un grand nombre de places de stationnement, remplacées par une centaine de pistes cyclables en moins de deux ans. C’est un choix politique fort, mais qui a rapidement démontré son efficacité. 

 

L’augmentation du nombre de cyclistes va malheureusement de pair avec une augmentation des accrochages entre différents usagers de l’espace public et du réseau : piétons, voitures… Comment résoudre ces conflits d’usage ?

Une bonne partie de ces tensions sont la conséquence de la présence de cyclistes et de piétons sur un même espace. Ces derniers sont souvent surpris par des cyclistes qui se déplacent plus rapidement qu’eux et en silence, d’où certaines situations conflictuelles. C’est là encore la conséquence de certains choix politiques qui ont fait du vélo une variable d’ajustement plutôt que de lui consacrer une véritable place. Or, il y a de l’espace en ville ! Mais la voiture en occupe toujours l’essentiel et le vélo est encore trop souvent relégué dans les interstices, sur les trottoirs, où il entre en compétition avec des piétons, les personnes handicapées, les seniors… Réduire ces conflits d’usage passe par la réduction de la place accordée à la voiture. 

 

Pour aller plus loin...

Une progression, mais laquelle ?

Les études qui s’accumulent en 2021 sur la fréquentation cyclable montrent toutes une tendance à la hausse. De janvier à septembre 2021, les données relevées par un échantillon de 205 compteurs automatiques et compilées par Vélo & Territoires  montrent ainsi une hausse globale de la circulation de 25 % par rapport à 2019 – avant « l’effet Covid » donc et en dépit d’un été froid et humide qui n’a pas facilité la pratique. Plus significatif encore : le nombre de passages de vélos continue de progresser sur l’ensemble des territoires : +29 % en zone urbaine, +22 % en milieu périurbain et +11 % en zone rurale.

 

Véloroutes : un schéma et des avancées

Validé en 1998, le Schéma national des véloroutes prévoyait en 2010 le déploiement de 13 000 km d’itinéraires dédiés au vélo. Réactualisé en avril 2020, il prévoit désormais 58 itinéraires, dont 10 EuroVelo, pour un linéaire total de 25 587 km. Celui-ci est aujourd’hui réalisé à 74 %, avec 18 848 km de pistes ouvertes au 1er janvier 2021, dont 1 241 km créés en 2020. Le Schéma EuroVelo, de son côté, est déjà achevé à 92,5 % : sur les 8 806 km d’itinéraires européens qui passent par la France, 8 149 km sont ouverts au 1er janvier 2021. Dans les Hauts-de-France, les derniers tronçons aménagés au printemps dernier traversent la MEL de Leers à Hantay, proposant ainsi de nouvelles étapes aux cyclotouristes qui se lancent sur l’Eurovélo 5, un chemin historique de 3 200 km qui relie l’Angleterre  à l’Italie en passant par la France, la Belgique, le Luxembourg, l’Allemagne et la Suisse.

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