C’est un des effets inattendus de la crise sanitaire : jamais l’utilisation du vélo n’avait connu une telle progression en France qu’en 2020, où beaucoup d’usagers des transports en commun se sont tournés vers lui pour pouvoir se déplacer facilement pendant le confinement. Accompagné par l’État et les collectivités locales, ce développement de la pratique cycliste s’est fait sentir aussi bien en ville que dans les zones périurbaines, voire rurales. Au-delà des chiffres (voire encart), Déclic Mobilités a souhaité échanger avec l’un de ces nouveaux usagers pour comprendre ses motivations. Rencontre avec Thomas Bigot, juriste au sein de la Protection Judiciaire de la Jeunesse. Et fervent défenseur de la petite reine…

 

Vous étiez parisien jusqu’à l’automne dernier. Avant de vous installer à Lille, utilisiez-vous le vélo au quotidien ?

J’ai passé la plupart de mes années d’études à circuler à vélo avant de renoncer, victime comme beaucoup de cyclistes parisiens de plusieurs accidents assez graves. Je n’y ai jamais été réfractaire mais Paris n’était pas la bonne ville pour ça, du moins à l’époque. Une partie du problème ne tient d’ailleurs pas à des questions de sécurité routière mais plutôt aux caractéristiques de la vie parisienne. Pour avoir un vélo quand on habite au 8e étage sans ascenseur, il faut avoir la foi. Surtout quand on se le fait voler régulièrement et qu’on est forcé de le remplacer par des modèles d’occasion qui reviennent finalement plus cher qu’autre chose en entretien… 

 

Pourquoi avoir renoué avec la pratique cycliste une fois installé à Lille ? 

Quitter Paris était une bonne occasion. J’ai commencé par utiliser les V’Lille proposés en libre-service avant de profiter du confinement et des économies que j’ai été amené à réaliser à cette occasion pour acheter un vélo de ville neuf, confortable, à ma taille… Ensuite, j’ai rapidement acheté un second modèle, cette fois destiné à la pratique sportive. Le premier vélo, acheté pour les trajets domicile-travail, a en quelque sorte servi de transition vers une autre utilisation, complémentaire de la première mais entièrement différente. La première relève du transport, la seconde de l’activité physique. Sans compter qu’il n’y a pas mieux pour découvrir une région que de circuler en toute liberté sur les petites routes. 

 

En ville, quels sont les avantages du vélo par rapport à d’autres modes de déplacement ?

iStock homme Velo

À pied, je mets 30 minutes pour me rendre au bureau. A vélo, sept minutes, ce qui me permet de rentrer chez moi si nécessaire pour déjeuner ou pour m’occuper de mes deux chiens. À force de pédaler, on développe aussi un nouveau rapport à l’espace public et à ses usagers qui m’intéresse. L’enjeu écologique est évidemment présent, même si on peut tout à fait se tourner vers les deux-roues non motorisés pour d’autres raisons.

Financièrement, est-ce un surcoût ?

Mon vélo de ville a coûté environ 300 euros, mais l’achat initial est assez vite compensé par le fait que je ne paye plus aucun abonnement de transport et que les frais d’entretien sont très réduits, puisqu’il est neuf. En un an, je n’ai pas dû dépenser plus de 60 euros pour acheter des pièces. C’est différent dans le cas du vélo de route, dont l’usage est par nature plus intensif. C’est en tout cas sans commune mesure avec les frais d’entretien et d’assurance qui vont avec l’achat d’une voiture.

 

On lit parfois que la métropole lilloise n’est pas encore suffisamment aménagée pour favoriser l’utilisation du vélo. Est-ce exact ?

Comparé à Paris, c’est bien mieux… L’idée de matérialiser des axes cyclistes dans les voies de bus est assez classique, mais le fait qu’ils soient moins nombreux qu’à Paris fait qu’on est nettement plus tranquille. En revanche, c’est un choix qui se discute dans la mesure où il consiste à rapprocher le cycliste du piéton, en le rapprochant du bord de la chaussée. Certains cyclistes estiment que c’est une manière de lui signifier qu’il n’a pas sa place au milieu des voitures ou des deux-roues motorisés alors que le code de la route est limpide : un cycliste peut circuler partout, sauf affichage contraire. La Belgique a fait un autre choix, avec des pistes cyclables aménagées sur les trottoirs, ce qui pose d’autres problèmes dans la mesure où les piétons ne sont pas toujours habitués à prendre garde aux vélos… À Lille, les trajets les plus agréables sont finalement ceux où la place du vélo est affirmée de façon franche, avec des pistes cyclables protégées et aménagées au milieu de la chaussée. Il reste qu’en un an, je n’ai pas eu d’accident et que collectivement, les usagers sont dans l’ensemble respectueux les uns des autres. Ce qui n’empêche pas des comportements individuels désagréables, y compris d’ailleurs de la part de certains cyclistes. 

 

Votre lieu de travail est-il aménagé pour favoriser l’usage du vélo ?

Nous disposons déjà des équipements nécessaires pour attacher nos vélos et des travaux d’aménagement sont en cours pour installer une douche. C’est d’ailleurs une question récurrente de la part de ceux qui réfléchissent à venir au travail à vélo. Sur ce point, il faut cela dit rappeler que la pratique du vélo est par nature un effort physique : on va transpirer, et on va le sentir dans les jambes à chaque feu rouge… C’est une contrainte qu’il faut à mon sens apprendre à accepter, individuellement et collectivement. 

 

Autour de vous, le confinement a-t-il eu un effet positif sur la pratique du vélo ?

Oui, et je m’en suis rendu compte en réalisant tout simplement qu’il devenait difficile de trouver une place sur le rack installé pour nous permettre d’attacher nos machines. Non seulement le nombre d’utilisateurs a augmenté, mais j’ai vu arriver des vélos de plus en plus coûteux : vélos à assistance électrique, machines haut de gamme… Manifestement, beaucoup de gens se sont lancés dans un achat qui les engage sur la durée, sans se contenter d’acheter pour quelques dizaines d’euros un vélo d’occasion qu’ils ne comptent pas utiliser longtemps. 

La cohabitation est-elle plus simple avec les piétons qu’avec les automobilistes ? 

C’est plutôt l’inverse, sans que ce soit nécessairement la faute des piétons. D’abord parce que les pistes cyclables sont le plus souvent balisées et qu’on est finalement assez peu au contact immédiat des voitures, ensuite parce que les piétons ne se sont pas encore pleinement habitués à voir circuler autant de vélos, enfin parce que certains cyclistes se comportent mal avec eux. Il faut du temps pour s’habituer à partager l’espace autrement et la Grand Place en est un exemple typique : les piétons sont habitués à prendre garde aux voitures, qui ne peuvent traverser la place que dans un seul sens, mais n’ont pas encore intégré le fait que les vélos sont eux autorisés à circuler dans les deux sens.

 

Les intempéries, le froid, l’obscurité… sont-ils des paramètres qui peuvent t’amener à renoncer certains jours au vélo ?

J’ai commencé à circuler à vélo en plein mois de novembre dernier et j’ai dû prendre depuis le métro une fois ou deux seulement, quand la violence du vent rendait le trajet dangereux. Ce n’est pas le confort mais le danger qui entre en ligne de compte.

 

Ce danger est-il une préoccupation au quotidien ?

Au-delà du port du casque et des équipements de sécurité, j’ai comme tous les cyclistes réguliers intériorisé un état de fait : qu’on soit en tort ou non, celui qui part à l’hôpital en cas d’accident, c’est le cycliste. La réponse est largement collective : plus les vélos prendront leur place sur la route, plus ils seront en sécurité vis-à-vis des automobilistes. Cela prendra du temps pour arriver à quelque chose d’harmonieux, mais je ne vois pas ce qui pourrait aujourd’hui m’amener à revenir en arrière et à abandonner le vélo pour un autre mode de déplacement. 

 

 

Un rattrapage en chiffres

  • 500 000 vélos ont été réparés en 2020 grâce à l’aide de 50 € mise en place par l’État.
  • 1000 kilomètres de « coronapistes » ont été aménagés pendant la pandémie pour désengorger les transports collectifs et faciliter la circulation des vélos.
  • Début septembre 2020, les déplacements à vélo ont augmenté en moyenne de 30 % par rapport à la même période en 2019. En ville, la progression dépasse même 36 %.
  • La Banque de France a identifié une hausse des ventes de cycles de 56 % en juin 2020 et de 33 % en juillet par rapport aux mêmes mois en 2019.

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