- Détails
- Publication : 14 octobre 2019
Mobilité et villes moyenne : enjeux et perspectives
Éminemment sensible, la question de la mobilité est ressortie avec une acuité particulière lors des derniers mouvements sociaux, mettant en lumière le sentiment d’isolement exprimé par la population éloignée des grandes métropoles et notamment par les habitants des villes moyennes. Quand et comment les problèmes de mobilité qui les touchent ont-ils commencé à se faire sentir ? La situation est-elle partout la même ? Pour ce dernier volet de la série de quatre articles que consacre Déclic Mobilités à ce sujet, le point sur les enjeux propres aux Hauts-de-France avec Patrick Palmier, responsable du groupe Mobilités et Territoires au CEREMA .
Quelles sont les spécificités des Hauts-de-France en matière de mobilité ? Comment se caractérisent les villes moyennes de la région ?
Patrick Palmier – La fusion des deux anciennes régions Nord-Pas-de-Calais et Picardie a réuni des territoires assez différents les uns des autres. Marqué par une grande densité urbaine, le premier ensemble s’articule d’une part autour de la métropole de Lille, d’autre part d’une série de villes moyennes situées à une trentaine de kilomètres au sud de la capitale régionale, dans l’ancien bassin minier. Béthune, Lens, Hénin-Carvin, Valenciennes, Douai… Voisines les unes des autres, ces communes forment un ruban urbain long et dense, mais éclaté sur le plan administratif. De son côté, le sud de l’Oise est tourné vers la région parisienne et le pôle de Roissy, principal bassin d’emploi pour les habitants du sud des Hauts-de-France. À l’exception d’Amiens, la Somme et l’Aisne se caractérisent par des villes moyennes implantées au milieu de zones plus rurales comme Laon ou Soissons.
Comment cette hétérogénéité se traduit-elle en termes de mobilité ?
Chaque situation est différente. Ces villes picardes relativement isolées font face à un problème d’attractivité, avec notamment des centres-villes qui ont connu un déclin progressif. Dans le bassin minier, cette configuration urbaine assez particulière va de pair avec une série de problématiques sociales et économiques spécifiques, liées aux questions de reconversions urbaine et industrielle plus larges qu’affrontent les anciennes cités minières. L’ensemble forme une agglomération étirée et importante mais les ressources des communes et des intercommunalités ne permettent pas l’émergence d’un réseau de transports publics collectifs attractif, d’où une mobilité centrée sur la voiture. Sur des populations fragiles, cela ne peut que limiter les possibilités de déplacement, d’autant que les infrastructures ferroviaires, pourtant assez denses, ne facilitent aujourd’hui guère la mobilité entre les différentes villes du bassin minier. Le réseau est pensé pour relier rapidement chacune d’entre elles à la métropole lilloise, pas pour permettre de se déplacer aisément d’une ville à l’autre en dehors des heures de pointe. Ainsi, aller d'Arras à Lens est facile et l'offre est importante mais il n'y a pas de train entre 9 h 23 et 12 h 04. Pourtant et compte tenu de la configuration de l'agglomération, le train pourrait jouer un rôle urbain plus important, à la manière du RER en région parisienne. Elle pourrait relier certaines gares entre elles plus directement et sans changement. Par exemple, entre Béthune et Douai, un fonctionnement de ce type permettrait de relier également des gares secondaires sur des lignes aujourd'hui différentes en limitant les correspondances et en proposant une offre plus régulière sur la journée. Sous la mandature précédente, le Conseil régional avait travaillé sur le projet Réseau Express Grand Lille, équivalent d’un RER entre Lille et le bassin minier conçu pour proposer une offre de transports performante, directe, rapide et fréquente. Le changement de majorité a fait que la Région réfléchit désormais à reconfigurer le projet pour desservir des villes en Picardie.
Quelle réponse collective peut-on apporter ?
Toute la difficulté consiste à fédérer les différentes collectivités autour d’un projet commun, d’autant que les relations entre l’ensemble de ces territoires et la métropole lilloise ne sont pas toujours faciles : concilier les objectifs de développement des uns et des autres ne va pas de soi… D’où l’importance du programme interministériel « Engagement pour le renouveau du bassin minier », mis en place par l’État en 2017 pour mener la métamorphose du territoire du bassin minier sur dix ans. Il implique l’État et les collectivités locales : la région, les départements du Nord et du Pas-de-Calais et huit intercommunalités, de Béthune à Valenciennes. En tout, le programme concerne 250 communes du bassin minier et 1,2 million d’habitants.
Certaines initiatives privées vous semblent-elles intéressantes ?
Il existe un certain nombre d’initiatives qui traduisent un dynamisme certain de la part des acteurs privés comme celles que porte notamment le Réseau Alliances. L’existence du pôle de compétivité i-Trans, qui fédère les acteurs de l'industrie et de la R&D dans le secteur du transport et de la mobilité en est une illustration concrète. Le but est de créer un environnement favorable à l’émergence d’entreprises locales actives dans le champ des mobilités dans le cadre du programme i-viaTIC. Il vise à accompagner les porteurs de projet dans leurs démarches pour favoriser l’innovation en matière de mobilité, parie sur l’idée qu’il faut fédérer l’ensemble des acteurs concernés, des entreprises aux institutions en passant par les collectivités territoriales et le monde de la recherche et de la formation.
Les trois visages des villes moyennesQuarante villes moyennes pour deux millions d’habitants : dans une étude de l’été 2019 l’INSEE, a dressé le portrait des principales communes de la région Hauts-de-France en dehors de Lille et d’Amiens. Reste à les distinguer les unes des autres, et l’institut a ainsi distingué trois principaux profils. Le premier, qui regroupe les villes dites « structurantes » concerne la moitié des 40 communes identifiées et se caractérise par le fait qu’elles attirent les actifs. : Laon, Beauvais et Arras, Boulogne-sur-Mer ou Maubeuge. Souvent préfectures ou sous-préfectures, elles concentrent des services publics et de nombreux emplois qualifiés mais le chômage y est très présent et la population assez jeune et défavorisée. Deuxième catégorie : les villes résidentielles. L’Insee en dénombre 17, pour la plupart situées dans l’ancien bassin minier entre Béthune, Lens et Valenciennes. Elles offrent en général peu d’emplois et leurs habitants se déplacent pour travailler dans des villes plus dynamiques. Dernière catégorie enfin, les villes industrielles comme Arques, Grande-Synthe ou Onnaing. Bassins d’emplois importants, elles se situent souvent en périphérie d’une autre grande ville moyenne, elles jouent un rôle industriel majeur et attirent les actifs des territoires voisins.
|