- Détails
- Publication : 17 juin 2019
Eminemment sensible, la question de la mobilité est ressortie avec une acuité particulière lors des mouvements sociaux de l’automne dernier. Parmi les premières revendications exprimées, le coût du carburant renvoyait à un problème plus large : le sentiment d’isolement exprimé par la population éloignée des grandes métropoles et notamment par les habitants des villes moyennes. Quand et comment les problèmes de mobilité qui les touchent ont-ils commencé à se faire sentir ? La situation est-elle partout la même ? Pour ce premier volet d’une série de quatre articles sur le sujet, le point avec Cécile Clément-Werny, cheffe du groupe "Systèmes de transport et services de mobilité" au CEREMA .
Pourquoi la question de la mobilité dans les villes moyennes ressort-elle avec autant d’acuité ?
(Les villes moyennes sont des pôles urbains de 25 000 à 130 000 habitants.)
Cécile Clément-Werny – Les études de l’INSEE ont montré que la vulnérabilité énergétique des ménages augmente de manière générale : chauffage, eau chaude… et déplacements. En France métropolitaine, 10 % des ménages sont à cet égard vulnérables. Cette fragilité des ménages est particulièrement sensible dans les zones peu denses, bien plus que dans les grandes métropoles. Pour ces ménages, toute augmentation du prix de l’essence peut avoir de sérieuses conséquences. Pour certains publics comme les seniors ou les personnes handicapées, la vulnérabilité est encore plus sensible pour des questions d’âge, de moyens financiers, de familiarité avec les outils numériques qui ouvrent la voie à d’autres modes de déplacement.
Quels sont les différents types de villes moyennes ?
Les villes moyennes ne forment pas une catégorie homogène, ce qui rend d’ailleurs leur étude difficile. La première catégorie concerne des villes moyennes rattachées à une grande métropole, par exemple Villefranche-sur-Saône et Lyon. Dans ce cas de figure, les déplacements professionnels sont plus sensibles des unes vers l’autre. Une autre catégorie relève de ce qu’on appelle les « villes-préfectures » : généralement plus attractives, elles offrent également des opportunités d’emploi plus importantes. Les villes touristiques forment une catégorie à part, avec des problèmes de mobilité particuliers dans la mesure où elles doivent gérer des flux de déplacements très importants dans un temps très réduit, souvent au cours des vacances ou pendant les week-ends. C’est par exemple le cas des villes de la façade atlantique, ou comme Giverny. Cette situation pose la question très spécifique des liens entre les résidents et les visiteurs, voire de conflits à certaines heures, notamment autour de sujets comme le stationnement. Dans ce type de communes, l’enjeu est de trouver l’équilibre entre l’attractivité, qui reste un enjeu économique essentiel, et la capacité à le rendre la circulation un peu plus acceptable pour l’environnement comme pour les riverains.
En quoi les déplacements dans les villes moyennes sont-ils différents de ceux que connaissent les grandes métropoles ?
Les comportements ne sont pas fondamentalement différents. Ce qui change, c’est que la réponse aux besoins de mobilité est plus difficile à mettre en place dans des zones de faible densité. Dans une métropole, les flux sont massifiés et mettre en place des lignes de bus ou de tramway permet de réagir de façon efficiente aux demandes. Dans des territoires moins denses, mettre en place des transports publics efficaces est bien plus délicat en dehors des grands axes. Dès que la demande est éparpillée, construire une réponse adaptée devient délicat pour les collectivités. Par ricochet, la solution devient individuelle, d’où la place quasi incontournable de la voiture dans les villes moyennes. Ne pas posséder de voiture est plus facile dans une grande métropole où les ménages qui n’ont pas les moyens d’avoir une voiture ou de la conduire – les personnes en difficulté, les étudiants, les personnes âgées… - ont d’autres solutions pour se déplacer grâce à une offre de transports en commun plus dense.
Quels sont les principaux motifs de déplacement dans les villes moyennes ? Les motifs professionnels l’emportent-ils sur les autres ?
La situation varie largement d’une ville moyenne à l’autre mais de manière générale, les déplacements domicile-travail représentent une proportion sensiblement identique à celle des métropoles, autour d’un tiers. Le reste – démarches, loisirs, consommation, accompagnement – est relativement identique, même si le retour chez soi entre midi et deux heures peut-être plus fréquent dans les villes moyennes que dans les agglomérations. Des différences sensibles sont néanmoins à retenir comme la distance parcourue, en général plus longue et donc plus coûteuse pour les habitants des villes moyennes.
Comment les pouvoirs publics réagissent-ils ?
L’élargissement de leurs compétences offre aux collectivités territoriales de nouveaux leviers d’action. Le premier et le plus intéressant d’entre eux consiste à encourager la pratique de la marche et du vélo, en jouant notamment sur l’attractivité de leurs communes ou en sécurisant les zones piétonnières ou les voies réservées aux cyclistes. C’est particulièrement sensible dans les centres-villes, où la question de la mobilité est toujours liée à celle de l’attractivité. La relative désaffection pour les centres-villes peut être compensée en facilitant le retour des commerces de proximité, en rendant la ville plus agréable et plus vivante, en s’assurant que les déplacements doux soient favorisés, etc.
La marche et le vélo ne peuvent pas répondre à tous les besoins…
Les transports publics collectifs et réguliers sont une réponse adaptée sur les axes forts mais il n’est pas possible de garantir un maillage efficace sur l’ensemble des zones plus isolées. D’où l’intérêt de mettre en place des réponses plus souples et plus agiles comme le transport à la demande ou des trajets partagés : co-voiturage, autopartage… On sait que cela fonctionne, notamment pour les trajets domicile-travail ; il est absolument nécessaire de travailler avec les bassins d’emploi pour encourager ces nouvelles pratiques de mobilité.
La voiture a longtemps été associée à la liberté. Existe-t-il une forme de frein psychologique qui gène le déploiement des solutions alternatives ?
La liberté qu’apporte la voiture individuelle est un atout indéniable. Dans les métropoles, le développement des transports publics n’a d’ailleurs été possible qu’en multipliant les contraintes sur les véhicules personnels. Mais jouer à la fois sur l’offre et sur la contrainte n’est pas aussi simple dans les villes moyennes. Il faut trouver des solutions concurrentielles capables de rivaliser avec la possession d’une voiture chez soi. Tout ce qui permet de se déshabituer de la voiture et de la volonté d’en posséder une dans son garage peut avoir une utilité, du vélo aux trottinettes électriques. C’est tout l’intérêt des politiques positives ou incitatives qui ne passent pas par la contrainte mais par la récompense, par exemple au travers de la mise en place de péages positifs, destinés à récompenser les usages vertueux.
Grandes tendances
• Dans les villes moyennes, plus de deux déplacements sur trois sont effectués en tant que conducteur ou passager d’une voiture.
• Dans les villes moyennes, on dénombre 80 voitures pour 100 adultes contre 74 dans les grandes agglomérations
• Un déplacement sur deux hors de la ville a un motif professionnel.
Source : Mobilité dans les villes moyennes, trois échelles territoriales d’analyse, CEREMA, 2018