Voitures électriques : une promesse et ses limites

D’abord produit de luxe, la voiture a pris dans les années 60 une place incontournable qu’elle n’a jamais perdue depuis auprès d’une large part de la population qui continue d’en faire son premier mode de déplacement. Symboliquement associée au rêve et à la liberté en dépit de ses effets environnementaux et sanitaires comme des risques qui lui sont associés, elle a modelé l’urbanisme et les équipements des espaces urbains et périurbains et largement forgé la mobilité de la seconde partie du 20e siècle en Occident, puis dans le monde entier. 

Un temps présentée comme une panacée, capable de faire du véhicule personnel un mode de déplacement « doux » et « vert », la voiture électrique est longtemps restée une utopie. Mais à l’heure où les modèles se multiplient et où le réseau de recharge frémit, de sérieuses interrogations subsistent : au-delà de son mode de propulsion, ne faut-il pas s’interroger sur la place même de la voiture individuelle ? État des lieux et éléments de réponses dans cette série de quatre articles. 

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Voitures électrique : le réseau de recharge se déploie

Alors que la gamme de véhicules électriques s’apprête à sérieusement s’étoffer, la croissance du marché passe inévitablement par le développement d’un réseau capable d’assurer une recharge facile et rapide pour convaincre les conducteurs de passer à l’électrique. S’il se développe, reste à savoir si c’est à un rythme suffisamment rapide.

Sur le papier, tout va bien : d’après l’association nationale pour le développement de la mobilité électrique (Avere), la France comptait 25 880 points de recharge accessibles et ouverts au public au début de cette année, soit une hausse de 29 % par rapport à mars 2018. Mieux encore : alors que la Commission européenne estime qu’un ratio d’une station pour dix véhicules est suffisant, le ratio français se situe actuellement à 6,8 voitures électriques pour une borne. 

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100 000 bornes sinon rien 

Ces chiffres masquent pourtant une réalité plus contrastée. Si le maillage du territoire hexagonal est plutôt homogène, il est en l’état très loin de pouvoir répondre à tous les usages ou de pouvoir faire face à l’explosion annoncée du parc de véhicules électriques dans les prochaines années. Le contrat stratégique de la filière automobile prévoit en effet la mise en circulation d’ici 2022 d’un million de véhicules électriques en France. Soit un réseau de 100 000 bornes de recharge pour respecter le ratio recommandé par la Commission européenne. Quatre fois le chiffre actuel… 

Premier constat donc, développer des réseaux denses dans les métropoles et les grandes villes mais aussi des stations de recharge rapide le long des autoroutes et routes nationales est indispensable pour répondre à tous les usages et à tous les besoins d’une part, favoriser l’achat de voitures électriques : si le domicile reste le premier lieu de recharge, tous les Français ne disposent pas d’un garage ou d’un lieu adapté. Pour eux, pouvoir alimenter leur batterie aussi facilement qu’ils font le plein d’une voiture à moteur thermique est un élément déterminant au moment de choisir leur prochain véhicule. L’État et ses partenaires en sont bien conscients puisque l’objectif des 100 000 bornes est précisément celui que s’est fixé le gouvernement dans le cadre de la Loi de Transition Énergétique, après de nombreux échanges avec les parties prenantes : constructeurs, équipementiers, fournisseurs, collectivités… 

Patate chaude

Reste à passer de l’intention aux actes avec plusieurs questions : qui installe quoi, où et qui paye ? C’est là que les choses se compliquent, explique Hervé Borgoltz, PDG du groupe nordiste DBT. « C’est une patate chaude », résume le patron d’un des principaux leaders du marché des bornes de recharge. D’abord parce que la lutte des standards n’est pas terminée et que toutes les bornes de recharge ne permettent pas d’alimenter tous les véhicules. « Trois normes japonaise, allemande et française coexistent, sans compter le standard chinois. La prise qui permet de recharger une Zoé ne sera pas nécessairement compatible avec une BMW… DBT a d’ailleurs fait partie des premiers fournisseurs capables d’installer des bornes multistandards ». 

A ce flou technique s’ajoute la grande variété des opérateurs susceptibles d’installer des sites de recharge électrique. Plusieurs structures sont susceptibles de s’intéresser à ce marché, explique le dirigeant : « aux opérateurs publics et aux constructeurs s’ajoutent des entreprises privées et notamment des pétroliers comme Shell ou Total qui sont en train de racheter des PME pour déployer  leurs propres réseaux. Chacun fournit ses armes en fonction de ses moyens propres mais le but est clairement de mettre un pied dans le marché en attendant de voir comme il se développe ». Même la grande distribution s’y met : pour un retailer comme Auchan, installer des bornes de recharge près de ses hypermarchés est un moyen d’attirer des clients, surtout s’il leur propose des tarifs préférentiels. 

Tous ces opérateurs potentiels n’ont pas la même stratégie. Côté constructeurs, Nissan ou Tesla ont ainsi fait le choix de développer leurs propres réseaux de recharge. Tesla a installé des stations exclusivement réservées à la marque fondée par Elon Musk à des endroits clés : hôtels, stations d’autoroute, parkings, … Ailleurs en Europe, des constructeurs se sont unis pour monter des réseaux exclusivement réservés à leurs véhicules, avec l’aide de l’UE. Ainsi, BMW, Daimler, Ford et Volkswagen avec ses marques Audi et Porsche se sont unis pour développer Ionity, un réseau européen qui cible l’installation d’ici 2020 de 400 stations de recharge rapide pour véhicules électriques. Autre exemple, le réseau de bornes de recharge rapide Fastned permet déjà aux 17 millions de Néerlandais de pouvoir recharger leur véhicule en 15 à 30 minutes. Et ce, tous les 50 kilomètres d'autoroute. 

Et en France ? Les progrès pourraient être plus rapides, estime Hervé Borgoltz qui regrette par exemple qu’un opérateur public comme EDF ne s’implique pas davantage. Il reste que l’effort se poursuit, même si c’est en ordre dispersé, poussé par une série de mesures incitatives. « Bien que le programme de subvention de l’Ademe soit terminé, le programme Advenir permet de réduire de 40% les coûts d’achat et d’installation en finançant jusqu’à 1 860 euros par point de recharge et offre des facilités pour l’installation de bornes à la demande. Une optimisation du maillage du territoire est en effet possible en développant un système d’installation à la demande à l’instar de Strasbourg ou Saint Etienne, où les automobilistes peuvent choisir l’emplacement des futures bornes », déclarait ainsi en début d’année Cécile Goubet, secrétaire générale de l’Avere-France. 

 

Des incitations spécifiques aux entreprises

Des incitations spécifiquement destinées aux entreprises ont été mises en œuvre pour les inviter à accueillir des bornes de recharge sur leurs propres parkings, au service de leurs employés ou de leurs clients. Aujourd’hui, des mesures contraignantes ont été mises en place, comme le pré-équipement d’une partie des parkings d’entreprise est ainsi obligatoire depuis 2012 pour les bâtiments neufs ou rénovés, depuis 2015 pour les bâtiments existants. Le but est d’amener les sociétés à accueillir plus tard un point de recharge pour véhicule électrique (VE) ou hybride sur leur site. Mais des mesures incitatives ont été mises en place, notamment dans le cadre du programme Advenir (Aide au Développement des Véhicules Électriques grâce à de Nouvelles Infrastructures de Recharge) qui permet aux entreprises de financer leurs propres bornes de recharge de véhicules électriques via un dispositif de subventions. Piloté par l’Avere-France, supervisé par l’Etat et financé par des opérateurs comme EDF, le programme vise l’installation de 13 000 supplémentaires bornes de recharge d’ici fin 2020. Pour bénéficier du dispositif, les entreprises peuvent déposer une demande d’aide financière auprès du programme Advenir à hauteur de 40 % des frais de fourniture et d’installation des bornes de recharge de véhicules électriques pour les entreprises. Mieux, cette aide pourrait être augmentée d’une prime de 360 € si les bornes installées intègrent un pilotage énergétique de la recharge, c’est-à-dire une fonctionnalité de gestion intelligente.

Interrogé sur le sujet, l’expert en mobilité électrique de la société Blue2BGreen Jean-Luc Coupez réagit : « on n’installe pas n’importe quelle borne de recharge à n’importe quel endroit ; il faut prendre en compte les besoins et conditions réels liés à la recharge. D’autant plus que le contexte technique et juridique évolue en ce moment », un sujet qui va donc continuer à évoluer dans les prochains mois et peut-être prochaines années ! 

En chiffres

  • La France compte près de 26 000 bornes de recharge ouvertes au public, soit 1 point de charge pour 6,8 véhicules légers électriques en circulation. 
  • 15 % de ces bornes sont implantées en Ile-de-France.
  • Le manque d'infrastructures de recharge constitue un frein à l'achat d'un véhicule électrique pour 22 % des sondés (IPSOS Avere-France / Mobivia, 2018).

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